Alors que le nombre d’animaux de compagnie ne cesse de croître, la France manque cruellement de vétérinaires. Entre désertification rurale, fatigue professionnelle et rigidité du parcours de formation, les professionnels de la santé animale tirent la sonnette d’alarme.
C’est un paradoxe inquiétant. En France, pays des 75 millions d’animaux de compagnie et de près de 200 millions d’animaux d’élevage, le nombre de vétérinaires disponibles ne suit plus. Le manque de praticiens devient criant, tant en zones rurales qu’en zones périurbaines. On dénombre à peine 22 000 vétérinaires en activité en 2025, un chiffre qui augmente faiblement depuis ces dernières années, alors même que les besoins explosent.
Ce déséquilibre entre l’offre de soins et la demande génère de véritables tensions sur le terrain : délais rallongés, surcharge de travail, fermeture de cliniques vétérinaires dans certains territoires. Dans les zones rurales notamment, les éleveurs peinent à faire intervenir un vétérinaire en urgence. Parfois, l’attente dépasse plusieurs heures, voire une journée, avec des conséquences sanitaires et économiques majeures pour les exploitants agricoles.
Le phénomène ne se limite plus aux soins vétérinaires pour les animaux d’élevage. Même les propriétaires d’animaux domestiques, en zone urbaine, se retrouvent confrontés à des difficultés croissantes pour obtenir un rendez-vous. Cette situation alimente une frustration croissante chez les Français, qui placent désormais les animaux au cœur de leur vie familiale.
Vétérinaires en France, une profession à bout de souffle
À l’origine de cette crise, plusieurs facteurs structurels. Le premier est démographique : une grande partie de la génération actuelle de vétérinaires part à la retraite, sans réelle relève. Les jeunes diplômés sont, eux, de plus en plus attirés par des carrières dans les grandes villes ou à l’étranger. Chaque année, plusieurs centaines d’entre eux choisissent de s’installer en Suisse, au Royaume-Uni ou au Canada, où les conditions de travail et les rémunérations sont plus attractives.
Le second facteur est lié aux conditions d’exercice. Le métier de vétérinaire, en particulier en milieu rural, est exigeant, solitaire, et demande une disponibilité totale, y compris les nuits, les week-ends et les jours fériés. Le taux de burn-out est particulièrement élevé dans la profession. Une enquête menée par l’Ordre national des vétérinaires en 2023 révèle qu’un praticien sur deux se sent en détresse psychologique au cours de sa carrière. Face à cette réalité, nombreux sont ceux qui choisissent une reconversion ou un changement de rythme dès les premières années.
L’accès aux études vétérinaires en France demeure très sélectif : il n’existe que quatre écoles nationales vétérinaires publiques (Lyon, Toulouse, Nantes et Maisons-Alfort). Ces établissements offrent chaque année un nombre limité de places, même si l’État a progressivement augmenté les effectifs pour répondre à la demande croissante. Malgré cette hausse, le nombre de places reste insuffisant face à l’engouement pour la profession. Le parcours d’admission, principalement accessible après deux années de classe préparatoire scientifique, reste particulièrement exigeant, avec un concours d’entrée très compétitif. D’autres voies d’accès existent, mais la sélection demeure rigoureuse, ce qui fait des études vétérinaires l’un des cursus les plus élitistes en France.
Reconnaître et valoriser les vétérinaires, un enjeu national
Au-delà des soins, les vétérinaires jouent un rôle central dans la santé publique (lutte contre les zoonoses), la sécurité alimentaire (surveillance des élevages), et la protection animale. Leur expertise est également cruciale dans les politiques environnementales, la gestion de la biodiversité et la régulation des espèces.
Certaines initiatives locales méritent d’être saluées : mise en place de bus vétérinaires itinérants, bourses pour les étudiants s’engageant à exercer en zone rurale, ou encore partenariats entre cliniques et collectivités. Mais ces actions restent ponctuelles et insuffisantes pour enrayer une crise structurelle.
L’enjeu est de taille : si la tendance actuelle se poursuit, de vastes territoires risquent de se retrouver sans présence vétérinaire d’ici 10 à 15 ans. Une situation qui compromettrait non seulement le bien-être animal, mais aussi la sécurité sanitaire des élevages et des populations humaines.
Redonner de l’attractivité à cette profession essentielle, adapter la formation aux réalités du terrain, accompagner les vocations et repenser le maillage territorial sont autant de pistes à activer d’urgence. Car derrière chaque vétérinaire, il y a un maillon fondamental de notre équilibre sociétal. Et il est temps de lui rendre sa juste place.

